Giorgio Manganelli
Hilarotragœdia

 

120 p. ISBN 978 293 0601 21 8. 15 euros.
Traduit de l’italien par Christophe Mileschi

Octobre 2017.

 

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«Le petit livre que l’on présente ici est, à proprement parler, un mini-traité, un menu manuel théorico-pratique ; et, en tant que tel, il aurait bien pu prendre place à côté d’un Dictionnaire abrégé du caviste de Bourgogne, et d’un Manuel de floriculture : de textes, en somme, nés d’une longue et affectueuse fréquentation de la matière en question, compilés avec une diligente pietas par des érudits de province, de sociables misanthropes, tendrement fanatiques et abstraits ; et secrètement dédiés aux âmes fraternelles, en l’occurrence aux captieux dégustateurs, aux visionnaires botaniques ou, comme dans le cas qui nous occupe, aux rares mais constants adeptes de la lévitation descensionnelle. L’auteur, humble pédagogue, aspire à la gloire didactique d’avoir, sinon comblé, du moins signalé une lacune de la récente manualistique pratique ; car il lui semble extravagant que, parmi tant de complets et savoureux do it yourself, on ait négligé précisément celui-là, qui concerne sa propre mort, entendue de diverses façons. Ainsi qu’il est d’usage, et non sans hésitante componction, signalons ici quelques modestes vertus de ce petit ouvrage, qui le différencient peut-être d’autres traités semblables, dont certains plus solennels : la définition de concepts que l’on donne trop souvent pour connus, comme ceux de balistique interne et externe, d’angoistique, d’hadèsdirigé ; le fait d’avoir proposé une nouvelle, et, à notre avis, pratique et maniable classification des angoisses ; enrichie, qui plus est, d’un Supplément sur les adieux, qui nous semble ne pas être la moindre des nouveautés de ce modeste opuscule ; l’inclusion du discours des cerfs et des amibes, qui vient souligner le caractère plus que simplement humaniste de l’approche adoptée ; et, surtout, le fait d’avoir réuni et présenté quelques diligentes et non négligeables documentations, non sans ébauche de commentaire, lesquelles permettront de vérifier les énoncés de la partie théorétique ; attendu que le livre se divise précisément en deux parties, que nous pourrions dénommer Morphologie et Exercices. Et si d’aucuns jugent ces documents arides et franchement notariaux, qu’ils n’oublient pas que leur prix est à rechercher dans leur minutieuse, acharnée fidélité au vrai ; et, par conséquent, ils sont proposés ici comme exemples de ce réalisme, moralement et socialement significatif, dont le compilateur entend être l’obséquieux zélateur.»

Hilarotragœdia, premier opus de Giorgio Manganelli publié en Italie il y a plus d’un demi-siècle, est enfin disponible en français, après de multiples tentatives de la part de plusieurs éditeurs. 
Inspiré d’un genre littéraire de l’antiquité tardive, l’hilaro-tragédie, où les personnages et les mythes de la tragédie étaient traités sur le mode comique, Hilarotragœdia est un livre inclassable et défie toute mimésis en hybridant essai et récit dans des segments laissés en suspens, présentant à chaque fois, à la manière d’Euclide ou de Spinoza, un postulat de départ, des gloses, des notes et des fragments narratifs. Ce sont les aventures du style et des Weltanschaungen qui nous sont proposées en lieu et place de celles des personnages du roman traditionnel, dont Manganelli refuse, à l’instar des autres néo-avant-gardistes du « Groupe 63 », qu’il fréquentait avec Umberto Eco et d’autres, les codifications canoniques. C’est ainsi que des âges stylistiques hétérogènes – du roman baroque du XVIIe siècle au symbolisme du subconscient junghien – s’allient dans un texte échevelé, ébouriffé et ébouriffant, qui se propose de gloser et d’analyser la « nature descensionnelle » de l’homme et qui constitue, selon Italo Calvino, un « théâtre doté d’une coupole zodiacale en guise de planétaire – à ceci près que cette coupole est retournée de bas en haut –, théâtre dédié aux virtuosités d’un seul et unique premier rôle : le langage ». Il y est question de mort, de gravité, d’angoisses et d’adieux, des différents synonymes ou équivalents du verbe « descendre », des métamorphoses des « les dirigés-vers-les-enfers » que sont les êtres humains, de la géographie même de l’Enfer, ainsi que d’innombrables tableaux et digressions ayant trait à ces questions, dont le cruel compte rendu d’une visite de la vieille mère du personnage-narrateur…


Giorgio Manganelli (1922-1990) était un écrivain, traducteur, éditeur et journaliste italien.

« Animé par la “balistique descensionnelle”, qui est l’un de ses thèmes principaux, ce livre tomba comme une météorite du haut des cieux faiblement nuageux de notre littérature des Late Fifties au milieu des mers fortement agitées des Early Sixties, annonçant une saison des lettres italiennes chargée de perturbations atmosphériques, mais surtout comme un phénomène vivant qui n’allait plus cesser de nous époustoufler, en dehors de tous les calendriers et autres éphémérides, par sa charge agressive qui est loin de décroître. Depuis lors, l’Hilarotragœdia continue sous nos regards hypnotisés à descendre pencher choir décliner dévaler tomber, autant de verbes qui, dans la perspective lexicale, du livre signifient le plus triomphal accomplissement d’un destin. Ce livre marquait l’entrée en scène de Giorgio Manganelli, personnage unique de la littérature d’ici et d’ailleurs, ne ressemblant qu’à lui-même… Si la forme du livre est celle du traité, l’espace qu’il construit autour de nous (dès son titre, qui « reprend le nom d’une ancienne représentation héroïcomique », comme le rappelait la quatrième de couverture) est celui du théâtre : théâtre d’une architecture composite entre Renaissance et Baroque, non sans quelque frise néogothique, théâtre doté, aussi, d’une coupole zodiacale en guise de planétaire – à ceci près que cette coupole est retournée de bas en haut –, théâtre dédié aux virtuosités d’un seul et unique premier rôle : le langage », Italo Calvino